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Поздравление руководства МА МО МО Прометей

 

I

ORSQUE j'avais six ans j'ai vu, une fois, une magnifique ' image, dans un livre sur la Forêt Vierge qui s'appelait «Histoires Vécues». Ça représentait un serpent boa qui avalait un fauve. Voilà la copie du dessin.

On disait dans le livre: «Les serpents boas avalent leur proie tout entière, sans la mâcher. Ensuite ils ne

peuvent plus bouger et ils dorment pendant les six mois de leur digestion.»

 

J'ai alors beaucoup réfléchi sur les aventures de la jungle et, à mon tour, j'ai réussi, avec un crayon de

couleur, à tracer mon premier dessin. Mon dessin numéro 1. Il était comme ça:

J'ai montré mon chef-d'œuvre aux grandes personnes et je leur ai demandé si mon dessin leur faisait peur.

 

LElles m'ont répondu: «Pourquoi un chapeau ferait-il peur?»

Mon dessin ne représentait pas un chapeau. Il repré-sentait un serpent boa qui digérait un éléphant. J'ai alors dessiné l'intérieur du serpent boa, afin que les grandes personnes puissent comprendre. Elles ont toujours besoin d'explications. Mon dessin numéro 2 était comme ça:

Les grandes personnes m'ont conseillé de laisser de côté les dessins de serpents boas ouverts ou fermés, et

de m'intéresser plutôt à la géographie, à l'histoire, au calcul et à la grammaire. C'est ainsi que j'ai abandonné, à l'âge de six ans, une magnifique carrière de peintre.

J'avais été découragé par l'insuccès de mon dessin numéro 1 et de mon dessin numéro 2. Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c'est fatigant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications.

J'ai donc dû choisir un autre métier et j'ai appris à piloter des avions. J'ai volé un peu partout dans le

monde. Et la géographie, c'est exact, m'a beaucoup servi. Je savais reconnaître, du premier coup d'œil, la Chine de l'Arizona. C'est très utile, si l'on est égaré pendant la nuit.

 

J'ai ainsi eu, au cours de ma vie, des tas de contacts avec des tas de gens sérieux. J'ai beaucoup vécu chez les grandes personnes. Je les ai vues de très près. Ça n'a pas trop amélioré mon opinion.

 

1 0

Quand j'en rencontrais une qui me paraissait un peu lucide, je faisais l'expérience sur elle de mon dessin

numéro 1 que j'ai toujours conservé. Je voulais savoir si elle était vraiment compréhensive. Mais toujours elle

me répondait: «C'est un chapeau.» Alors je ne lui parlais ni de serpents boas, ni de forêts vierges, ni

d'étoiles. Je me mettais à sa portée. Je lui parlais de bridge, de golf, de politique et de cravates. Et la grande

personne était bien contente de connaître un homme aussi raisonnable.

 

II

'AI ainsi vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement, jusqu'à une panne dans le désert du

Sahara, il y a six ans. Quelque chose s'était cassé dans mon moteur. Et comme je n'avais avec moi ni mécanicien, ni passagers, je me préparai à essayer de réussir, tout seul, une réparation difficile. C'était pour moi une question de vie ou de mort. J'avais à peine de l'eau à boire pour huit jours.

 

Le premier soir je me suis donc endormi sur le sable à mille milles de toute terre habitée. J'étais bien plus isolé qu'un naufragé sur un radeau au milieu de l'Océan. Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand une drôle de petite voix m'a réveillé. Elle disait:

— S'il vous plaît... dessine-moi un mouton!

— Hein!

— Dessine-moi un mouton...

 

J'ai sauté sur mes pieds comme si j'avais été frappé 1par la foudre. J'ai bien frotté mes yeux. J'ai bien regardé.

 

Et j'ai vu un petit bonhomme tout à fait extraordinaire qui me considérait gravement. Voilà le meilleur portrait que, plus tard, j'ai réussi à faire de lui. Mais mon dessin, bien sûr, est beaucoup moins ravissant que le modèle.

 

Ce n'est pas ma faute. J'avais été découragé dans ma carrière de peintre par les grandes personnes, à l'âge

de six ans, et je n'avais rien appris à dessiner, sauf les boas fermés et les boas ouverts.

 

Je regardai donc cette apparition avec des yeux tout ronds d'étonnement. N'oubliez pas que je me trouvais à

mille milles de toute région habitée. Or mon petit bonhomme ne me semblait ni égaré, ni mort de fatigue,

ni mort de faim, ni mort de soif, ni mort de peur. Il n'avait en rien l'apparence d'un enfant perdu au milieu

du désert, à mille milles de toute région habitée. Quand je réussis enfin à parler, je lui dis:

— Mais... qu'est-ce que tu fais là?

 

Et il me répéta alors, tout doucement, comme une chose très sérieuse:

— S'il vous plaît... dessine-moi un mouton...

 

Quand le mystère est trop impressionnant, on n'ose pas désobéir. Aussi absurde que cela me semblât à mille

milles de tous les endroits habités et en danger de mort, je sortis de ma poche une feuille de papier et un

stylographe. Mais je me rappelai alors que j'avais surtout étudié la géographie, l'histoire, le calcul et la

grammaire et je dis au petit bonhomme (avec un peu de mauvaise humeur) que je ne savais pas dessiner. Il

me répondit:

— Ça ne fait rien. Dessine-moi un mouton.

 

Comme je n'avais jamais dessiné un mouton je refis, Voilà le meilleur portrait que, plus tard, j ' ai réussi à faire de lui.pour lui, l'un des deux seuls dessins dont j'étais capable. Celui du boa fermé. Et je fus Stupéfait d'entendre le petit bonhomme me répondre:

 

— Non! Non! Je ne veux pas

 

d'un éléphant dans un boa. Un boa c'est très dangereux,

 

et un éléphant c'esit très encombrant. Chez moi c'esit tout

 

petit. J'ai besoin d'un mouton. Dessine-moi un mouton.

 

Alors j'ai dessiné.

 

Il regarda attentivement, puis:

 

— Non! Celui-là est déjà très malade. Fais-en un autre.

 

Je dessinai:

 

Mon ami sourit gentiment, avec indulgence:

 

— Tu vois bien... ce n'est pas un

 

mouton, c'est un bélier. Il a des cornes...

 

Je refis donc encore mon dessin:

 

Mais il fut refusé, comme les précé-

 

dents:

 

— Celui-là est trop vieux. Je veux un

 

mouton qui vive longtemps.

 

Alors, faute de patience, comme j'avais

 

hâte de commencer le démontage de mon

 

moteur, je griffonnai ce dessin-ci.

 

Et je lançai:

 

— Ça c'est la caisse. Le mouton que tu veux est

 

dedans.

 

Mais*je fus bien surpris de voir s'illuminer le visage

 

de mon jeune juge:

 

— C'est tout à fait

 

comme ça que je le

 

voulais! Crois-tu qu'il faille beaucoup d'herbe à ce

 

mouton?

 

— Pourquoi?

 

— Parce que chez moi c'est tout petit...

 

— Ça suffira sûrement. Je t'ai donné un tout petit

 

mouton.

 

Il pencha la tête vers le dessin:

 

— Pas si petit que ça... Tiens! Il s'est endormi...

 

Et c'est ainsi que je fis la connaissance du petit prince.

 

III

 

L me fallut longtemps pour comprendre d'où il venait.

 

Le petit prince, qui me posait beaucoup de questions,

 

ne semblait jamais entendre les miennes. Ce sont des

 

mots prononcés par hasard qui, peu à peu, m'ont

 

tout révélé. Ainsi, quand il aperçut pour la pré-

 

mière fois mon avion (je ne dessinerai pas mon avion, c'est un

 

dessin beaucoup trop compliqué

 

pour moi) il me demanda:

 

— Qu'est-ce que c'est que cette

 

chose-là?

 

— Ce n'est pas une chose. Ça

 

vole. C'est un avion. C'est mon

 

avion.

 

Et j'étais fier de lui apprendre

 

que je volais. Alors il s'écria:

 

— Comment! tu es tombé

 

du ciel?

 

 

I— Oui, fis-je modestement.

 

— Ah! ça c'est drôle...

 

Et le petit prince eut un très joli éclat de rire qui

 

m'irrita beaucoup. Je désire que l'on prenne mes malheurs au sérieux. Puis il ajouta:

 

— Alors, toi aussi tu viens du ciel! De quelle planète

 

es-tu?

 

J'entrevis aussitôt une lueur, dans le mystère de sa

 

présence, et j'interrogeai brusquement:

 

— Tu viens donc d'une autre planète?

 

Mais il ne me répondit pas. Il hochait la tête doucement

 

tout en regardant mon avion:

 

— C'est vrai que, là-dessus, tu ne peux pas venir de

 

bien loin...

 

Et il s'enfonça dans une rêverie qui dura longtemps.

 

Puis, sortant mon mouton de sa poche, il se plongea

 

dans la contemplation de son trésor.

 

Vous imaginez combien j'avais pu être intrigué par

 

cette demi-confidence sur «les autres planètes». -Je

 

m'efforçai donc d'en savoir plus long:

 

— D'où viens-tu, mon petit bonhomme? Où est-ce

 

«chez toi»? Où veux-tu emporter mon mouton?

 

Il me répondit après un silence méditatif:

 

— Ce qui est bien, avec la caisse que tu m'as donnée,

 

c'est que, la nuit, ça lui servira de maison.

 

— Bien sûr. Et si tu es gentil, je te donnerai aussi

 

une corde pour l'attacher pendant le jour. Et un piquet.

 

La proposition parut choquer le petit prince:

 

— L'attacher? Quelle drôle d'idée!

 

— Mais si tu ne l'attaches pas, il ira n'importe où, et il

 

se perdra... Le petit prince sur l'astéroïde B 612.

 

16Et mon ami eut un nouvel éclat de rire:

 

— Mais où veux-tu qu'il aille?

 

— N'importe où. Droit devant lui...

 

Alors le petit prince remarqua gravement:

 

— Ça ne fait rien, c'est tellement petit, chez moi!

 

Et, avec un peu de mélancolie, peut-être, il ajouta:

 

— Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin...

 

IV

 

J

 

'AVAIS ainsi appris une seconde chose très importante: C'est que sa planète d'origine était à peine

 

plus grande qu'une maison!

 

Ça ne pouvait pas m'étonner beaucoup. Je savais bien

 

qu'en dehors des grosses planètes comme la Terre,

 

Jupiter, Mars, Vénus, auxquelles on a donné des noms,

 

il y en a des centaines d'autres qui

 

sont quelquefois

 

si petites qu'on a

 

beaucoup de mal

 

à les apercevoir au

 

télescope. Quand

 

un a s t r o n o me

 

d é c o u v re l ' u ne

 

d'elles, il lui donne

 

pour nom un numéro. Il l'appelle

 

p ar e x e m p le:

 

«l'astéroïde 3251».

 

J'ai de sérieuses

 

raisons de croire

 

que la planète d'où

 

v e n a it le p e t it

 

prince est l'asté-

 

roïde B 612. Cet

 

astéroïde n'a été aperçu qu'une fois au

 

télescope, en 1909, par un astronome turc.

 

Il avait fait alors une grande démonstration de sa découverte à un Congrès International d'Astronomie. Mais personne ne l'avait cru à cause de son

 

costume. Les grandes personnes sont comme ça.

 

Heureusement pour la réputation de l'astéroïde B 612

 

un dictateur turc imposa à son peuple, sous peine de

 

mort, de s'habiller à l'européenne. L'astronome refit

 

sa démonstration en 1920, dans un habit très élégant.

 

Et cette fois-ci tout le monde fut de son avis.

 

Si je vous ai raconté ces détails sur l'astéroïde B 612 et

 

si je vous ai confié son numéro, c'est à cause des grandes

 

personnes. Les grandes personnes aiment les chiffres.

 

Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous

 

questionnent jamais sur l'essentiel. Elles ne vous disent

 

jamais: «Quel est le son de sa voix? Quels sont les jeux

 

qu'il préfère? Est-ce qu'il collectionne les papillons?»

 

Elles vous demandent: «Quel âge a-t-il? Combien a-t-il

 

de frères? Combien pè s e - t - il?

 

Combien gagne

 

son père?» Alors

 

s eul ement elles

 

croient le connaî-

 

tre. Si vous ditesaux grandes personnes: «J'ai vu une belle maison en

 

briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des

 

colombes sur le toit...» elles ne parviennent pas à s'imaginer cette maison. Il faut leur dire: «J'ai vu une maison

 

de cent mille francs.» Alors elles s'écrient: «Comme

 

c'est joli!»

 

Ainsi, si vous leur dites: «La preuve que le petit

 

prince a existé c'est qu'il était ravissant, qu'il riait, et

 

qu'il voulait un mouton. Quand on veut un mouton,

 

c'est la preuve qu'on existe», elles hausseront les épaules

 

et vous traiteront d'enfant! Mais si vous leur dites: «La

 

planète d'où il venait est l'astéroïde B 612», alors elles

 

seront convaincues, et elles vous laisseront tranquille

 

avec leurs questions. Elles sont comme ça. Il ne faut pas

 

leur en vouloir. Les enfants doivent être très indulgents

 

envers les grandes personnes.

 

Mais, bien sûr, nous qui comprenons la vie, nous nous

 

moquons bien des numéros! J'aurais aimé commencer

 

cette histoire à la façon des contes de fées. J'aurais aimé

 

dire:

 

«II était une fois un petit prince qui habitait une

 

planète à peine plus grande que lui, et qui avait besoin

 

d'un ami...» Pour ceux qui comprennent la vie, ça aurait

 

eu l'air beaucoup plus vrai.

 

Car je n'aime pas qu'on lise mon livre à la légère.

 

J'éprouve tant de chagrin à raconter ces souvenirs. Il y

 

a six ans déjà que mon ami s'en est allé avec son mouton.

 

Si j'essaie ici de le décrire, c'est afin de ne pas l'oublier.

 

C'est triste d'oublier un ami. Tout le monde n'a pas eu

 

un ami. Et je puis devenir comme les grandes personnes

 

qui ne s'intéressent plus qu'aux chiffres. C'est donc pour

 

ça encore que j'ai acheté une boîte de couleurs et des

 

2 0

 

crayons. C'est dur de se remettre au dessin, à mon âge,

 

quand on n'a jamais fait d'autres tentatives que celle d'un

 

boa fermé et celle d'un boa ouvert, à l'âge de six ans!

 

J'essaierai, bien sûr, de faire des portraits le plus ressemblants possible. Mais je ne suis pas tout à fait certain de

 

réussir. Un dessin va, et l'autre ne ressemble plus. Je

 

me trompe un peu aussi sur la taille. Ici le petit prince

 

est trop grand. Là il est trop petit. J'hésite aussi sur la

 

couleur de son costume. Alors je tâtonne comme ci et

 

comme ça, tant bien que mal. Je me tromperai enfin sur

 

certains détails plus importants. Mais ça, il faudra me le

 

pardonner. Mon ami ne donnait jamais d'explications.

 

Il me croyait peut-être semblable à lui. Mais moi, malheureusement, je ne sais pas voir les moutons à travers

 

les caisses. Je suis peut-être un peu comme les grandes

 

personnes. J'ai dû vieillir.

 

V

 

2 1

 

HAQUE jour j'apprenais quelque chose sur la planète,

 

sur le départ, sur le voyage. Ça venait tout doucement, au hasard des réflexions. C'est ainsi que, le troisième jour, je connus le drame des baobabs.

 

Cette fois-ci encore ce fut grâce au mouton, car

 

brusquement le petit prince m'interrogea, comme pris

 

d'un doute grave:

 

— C'est bien vrai, n'est-ce pas, que les moutons

 

mangent les arbustes?

 

— Oui. C'est vrai.

 

— Ah! Je suis content.

 

cdille inoffensive. S'il s'agit d'une brindille de radis ou

 

de rosier, on peut la laisser pousser comme elle veut.

 

Mais s'il s'agit d'une mauvaise plante, il faut arracher

 

la plante aussitôt, dès qu'on a su la reconnaître. Or il

 

y avait des graines terribles sur la planète du petit

 

prince... c'étaient les graines de baobabs. Le sol de la

 

planète en était infesté. Or un baobab, si l'on s'y prend

 

trop tard, on ne peut jamais plus s'en débarrasser. Il

 

encombre toute la planète. Il la perfore de ses racines.

 

Et si la planète est trop petite, et si les baobabs sont

 

trop nombreux, ils la font éclater.

 

 

Je ne compris pas pourquoi il était si important que

 

les moutons mangeassent les arbustes. Mais le petit

 

prince ajouta:

 

— Par conséquent ils mangent aussi les baobabs?

 

Je fis remarquer au petit prince que les baobabs ne

 

sont pas des arbustes, mais des arbres grands comme des

 

églises et que, si même il emportait avec lui tout un

 

troupeau d'éléphants, ce troupeau ne viendrait pas à bout

 

d'un seul baobab.

 

L'idée du troupeau d'éléphants fit rire le petit prince:

 

— Il faudrait les mettre les uns sur les autres...

 

Mais il remarqua avec sagesse:

 

— Les baobabs, avant de grandir, ça commence par

 

être petit.

 

— C'est exact! Mais pourquoi veux-tu que tes moutons mangent les petits baobabs?

 

Il me répondit: «Ben! Voyons!» comme s'il s'agissait

 

là d'une évidence. Et il me fallut un grand effort d'intelligence pour comprendre à moi seul ce problème.

 

Et en effet, sur la planète du petit prince, il y avait

 

comme sur toutes les planètes, de bonnes herbes et de

 

mauvaises herbes. Par conséquent de bonnes graines de

 

bonnes herbes et de mauvaises graines de mauvaises

 

herbes. Mais les graines

 

sont invisibles. Elles dorment dans le secret de la

 

terre jusqu'à ce qu'il prenne

 

fantaisie à l'une d'elles de

 

se réveiller... Alors elle

 

s'étire, et pousse d'abord

 

timidement vers le soleil

 

une ravissante petite brin-«C'est une question de discipline, me disait plus tard

 

le petit prince. Quand on a terminé sa toilette du matin, il

 

faut faire soigneusement la toilette de la planète. Il faut

 

s'astreindre régulièrement à arracher les baobabs dès

 

qu'on les distingue d'avec les rosiers auxquels ils ressemblent beaucoup quand ils sont très jeunes. C'est un

 

travail très ennuyeux, mais très facile.»

 

Et un jour il me conseilla de m'appliquer à réussir un

 

beau dessin, pour bien faire entrer ça dans la tête des

 

enfants de chez moi. «S'ils voyagent un jour, me disait-il,

 

ça pourra leur servir. Il est quelquefois sans inconvénient

 

de remettre à plus tard son travail. Mais, s'il s'agit des

 

baobabs, c'est toujours une catastrophe. J'ai connu une

 

planète, habitée par un paresseux. Il avait négligé trois

 

arbustes...»

 

Et, sur les indications du petit prince, j'ai dessiné cette

 

planète-là. Je n'aime guère prendre le ton d'un moraliste.

 

Mais le danger des baobabs est si peu connu, et les risques

 

courus par celui qui s'égarerait dans un astéroïde sont si

 

considérables, que, pour une fois, je fais exception à ma

 

réserve. Je dis: «Enfants! Faites attention aux baobabs!»

 

C'est pour avertir mes amis d'un danger qu'ils frôlaient

 

depuis longtemps, comme moi-même, sans le connaître,

 

que j'ai tant travaillé ce dessin-là. La leçon que je donnais

 

en valait la peine. Vous vous demanderez peut-être:

 

Pourquoi n'y a-t-il pas, dans ce livre, d'autres dessins

 

aussi grandioses que le dessin des baobabs? La réponse

 

est bien simple: J'ai essayé mais je n'ai pas pu réussir.

 

Quand j'ai dessiné les baobabs j'ai été animé par le

 

sentiment de l'urgence.

 

Les baobabs.

 

2-4A

 

H! petit prince, j'ai compris, peu à peu, ainsi, ta petite

 

vie mélancolique. Tu n'avais eu longtemps pour

 

distraction que la douceur des couchers de soleil. J'ai

 

appris ce détail nouveau, le quatrième jour au matin,

 

quand tu m'as dit:

 

J'aime bien les couchers de soleil. Allons voir un

 

coucher de soleil...

 

— Mais il faut attendre...

 

— Attendre quoi?

 

— Attendre que le soleil se couche.

 

Tu as eu l'air très surpris d'abord, et puis tu as ri de

 

toi-même. Et tu m'as dit:

 

— Je me crois toujours chez moi!

 

E cinquième jour, toujours grâce au mouton, ce

 

secret de la vie du petit prince me fut révélé. Il me

 

demanda avec brusquerie, sans préambule, comme le

 

fruit d'un problème longtemps médité en silence:

 

— Un mouton, s'il mange les arbustes, il mange aussi

 

les fleurs?

 

— Un mouton mange tout ce qu'il rencontre.

 

— Même les fleurs qui ont des épines?

 

— Oui. Même les fleurs qui ont des épines.

 

— Alors les épines, à quoi servent-elles?

 

Je ne le savais pas. J'étais alors très occupé à essayer

 

de dévisser un boulon trop, serré de mon moteur. J'étais

 

très soucieux car ma panne commençait de m'apparaître

 

L

 

VII

 

En effet. Quand il est midi aux États-Unis, le soleil,

 

tout le monde le sait, se couche sur la France. Il suffirait

 

de pouvoir aller en France en une minute pour assister au

 

coucher de soleil. Malheureusement la France est bien

 

trop éloignée. Mais, sur ta si petite planète, il te suffisait

 

de tirer ta chaise de quelques pas. Et tu regardais le

 

crépuscule chaque fois que tu le désirais...

 

— Un jour, j'ai vu le soleil se coucher quarante-trois

 

foi s!

 

Et un peu plus tard tu ajoutais:

 

— Tu sais... quand on est tellement triste on aime les

 

couchers de soleil...

 

— Le jour des quarante-trois fois tu étais donc tellement triste?

 

Mais le petit prince ne répondit pas.

 

 

*7comme très grave, et l'eau à boire qui s'épuisait me

 

faisait craindre le pire.

 

— Les épines, à quoi servent-elles?

 

Le petit prince ne renonçait jamais à une question,

 

une fois qu'il l'avait posée. J'étais irrité par mon boulon

 

et je répondis n'importe quoi:

 

— Les épines, ça ne sert à rien, c'est de la pure

 

méchanceté de la part des fleurs!

 

— Oh!

 

Mais après un silence il me lança, avec une sorte de

 

rancune:.

 

— Je ne te crois pas! Les fleurs sont faibles. Elles

 

sont naïves. Elles se rassurent comme elles peuvent.

 

Elles se croient terribles avec leurs épines...

 

Je ne répondis rien. À cet instant-là je me disais: «Si

 

ce boulon résiste encore, je le ferai sauter d'un coup de

 

marteau.» Le petit prince dérangea de nouveau mes

 

réflexions:

 

— Et tu crois, toi, que les fleurs...

 

— Mais non! Mais non! Je ne crois rien! J'ai

 

répondu n'importe quoi. Je m'occupe, moi, de choses

 

sérieuses!

 

Il me regarda stupéfait.

 

-— De choses sérieuses!

 

Il me voyait, mon marteau à la main, et les doigts noirs

 

de cambouis, penché sur un objet qui lui semblait très laid.

 

— Tu parles comme les grandes personnes!

 

Ça me fit un peu honte. Mais, impitoyable, il ajouta:

 

— Tu confonds tout... tu mélanges tout!

 

Il était vraiment très irrité. Il secouait au vent des

 

cheveux tout dorés:

 

— Je connais une planète où il y a un Monsieur

 

 

cramoisi. Il n'a jamais respiré une fleur. Il n'a jamais

 

regardé une étoile. Il n'a jamais aimé personne. Il n'a

 

jamais rien fait d'autre que des additions. Et toute la

 

journée il répète comme toi: «Je

 

suis un homme sérieux! Je suis un

 

homme sérieux!» et ça le fait gonfler d'orgueil. Mais ce n'est pas un

 

homme, c'est un champignon!

 

— Un quoi?

 

— Un champignon!

 

Le petit prince était maintenant

 

tout pâle de colère.

 

— Il y a des millions d'années que

 

les fleurs fabriquent des épines. Il y a

 

des millions d'années que les moutons

 

mangent quand même les fleurs. Et

 

ce n'est pas sérieux de chercher à comprendre pourquoi elles se donnent tant

 

de mal pour se fabriquer

 

des épines qui ne servent

 

jamais à rien? Ce n'est pas

 

important la guerre des

 

moutons et des fleurs? Ce

 

n'est pas plus sérieux et

 

plus important que les

 

additions d'un gros Monsieur rouge? Et si je connais, moi, une fleur unique

 

au monde, qui n'existe

 

nulle part, sauf

 

dans ma planète,et qu'un petit mouton peut anéantir d'un seul coup,

 

comme ça, un matin, sans se rendre compte de ce qu'il

 

fait, ce n'est pas important ça!

 

Il rougit, puis reprit:

 

— Si quelqu'un aime une fleur qui n'existe qu'à un

 

exemplaire dans les millions et les millions d'étoiles, ça

 

suffit pour qu'il soit heureux quand il les regarde. Il se

 

dit: «Ma fleur est là quelque part...» Mais si le mouton

 

mange la fleur, c'est pour lui comme si, brusquement,

 

toutes les étoiles s'éteignaient! Et ce n'est pas important ça!

 

Il ne put rien dire de plus. Il éclata brusquement en

 

sanglots. La nuit était tombée. J'avais lâché mes outils.

 

Je me moquais bien de mon marteau, de mon boulon,

 

de la soif et de la mort. Il y avait, sur une étoile, une

 

planète, la mienne, la Terre, un petit prince à consoler!

 

Je le pris dans les bras. Je le berçai. Je lui disais: «La

 

fleur que tu aimes n'est pas en danger... Je lui dessinerai

 

une muselière, à ton mouton... Je te dessinerai une

 

armure pour ta fleur... Je...» Je ne savais pas trop quoi

 

dire. Je me sentais très maladroit. Je ne savais comment

 

l'atteindre, où le rejoindre... C'est tellement mystérieux,

 

le pays des larmes.

 

XVIII

 

J

 

'APPRIS bien vite à mieux connaître cette fleur. Il y

 

avait toujours eu, sur la planète du petit prince, des

 

fleurs très simples, ornées d'un seul rang de pétales,

 

et qui ne tenaient point de place, et qui ne dérangeaient

 

personne. Elles apparaissaient un matin dans l'herbe, et

 

 

puis elles s'éteignaient le soir. Mais celle-là avait germé

 

un jour, d'une graine apportée d'on ne sait où, et le petit

 

prince avait surveillé de très près cette brindille qui ne

 

ressemblait pas aux autres brindilles. Ça pouvait être un

 

nouveau genre de baobab. Mais l'arbuste cessa vite de

 

croître, et commença de préparer une fleur. Le petit

 

prince, qui assistait à l'installation d'un bouton énorme,

 

sentait bien qu'il en sortirait une apparition miraculeuse,

 

mais la fleur n'en finissait pas de se préparer à être belle,

 

à l'abri de sa chambre verte. Elle choisissait avec soin

 

ses couleurs. Elle s'habillait lentement, elle ajustait un

 

à un ses pétales. Elle ne voulait pas sortir toute fripée

 

comme les coquelicots. Elle ne voulait apparaître que

 

dans le plein rayonnement de sa beauté. Eh! oui. Elle

 

était très coquette! Sa toilette mystérieuse avait donc

 

duré des jours et des jours. Et puis voici qu'un matin,

 

justement à l'heure du lever du soleil, elle s'était montrée.

 

Et elle, qui avait travaillé avec tant de précision, dit

 

en bâillant:

 

— Ah! je me réveille à peine... Je vous demande

 

pardon... Je suis encore toute décoiffée...

 

Le petit prince, alors, ne put contenir son admiration:

 

— Que vous êtes belle!

 

— N'est-ce pas, répondit doucement la fleur. Et

 

je suis née en même temps

 

que le soleil...

 

Le petit prince devina

 

bien qu'elle n'était pas trop

 

modeste, mais elle était si

 

émouvante!

 

— C'est l'heure, je crois,du petit déjeuner, avaitelle bientôt ajouté, auriezvous la bonté de penser

 

à moi...

 

Et le petit prince, tout

 

confus, ayant été chercher un arrosoir d'eau

 

fraîche, avait servi la

 

fleur.

 

Ainsi l'avait-elle bien

 

vite tourmenté par sa

 

vanité un peu ombrageuse. Un jour, par exemple, parlant de ses quatre épines, elle avait dit au petit prince:

 

— Ils peuvent venir, les tigres, avec leurs griffes!

 

— Il n'y a pas de tigres sur ma planète, avait objecté

 

le petit prince, et puis les tigres ne mangent pas l'herbe.

 

— Je ne suis pas une herbe, avait doucement répondu

 

la fleur.

 

— Pardonnez-moi...

 

— Je ne crains rien des tigres, mais j'ai horreur des

 

courants d'air. Vous n'auriez pas un paravent?

 

«Horreur des courants d'air... ce n'est pas de chance,

 

pour une plante, avait remarqué le petit prince. Cette fleur

 

est bien compliquée...»

 

— Le soir vous me

 

mettrez sous globe. Il

 

fait très froid chez vous.

 

C'est mal installé. Là d'où

 

je viens...

 

Mais elle s'était interrompue. Elle était venue

 

sous forme de graine.

 

Elle n'avait rien pu connaître

 

des autres mondes. Humiliée

 

de s'être laissé surprendre à

 

préparer un mensonge aussi

 

naïf, elle avait toussé deux ou

 

trois fois, pour mettre le petit

 

prince dans son tort:

 

— Ce paravent?...

 

— J'allais le chercher mais

 

vous me parliez!

 

Alors elle avait forcé sa toux pour lui infliger quand

 

même des remords.

 

Ainsi le petit prince, malgré la bonne volonté de son

 

amour, avait vite douté d'elle. Il avait pris au sérieux des

 

mots sans importance, et était devenu très malheureux.

 

«J'aurais dû ne pas l'écouter, me confia-t-il un jour,

 

il ne faut jamais écouter les fleurs. Il faut les regarder et

 

les respirer. La mienne embaumait ma planète, mais je ne

 

savais pas m'en réjouir. Cette histoire de griffes, qui

 

m'avait tellement agacé, eût dû m'attendrir...»

 

II me confia encore:

 

«Je n'ai alors rien su comprendre! J'aurais dû la juger

 

sur les actes et non sur les

 

mots. Elle m'embaumait et

 

m'éclairait. Je n'aurais jamais

 

dû m'enfuir! J'aurais dû deviner sa tendresse derrière

 

ses pauvres ruses. Les fleurs

 

sont si contradictoires! Mais

 

j étais trop jeune pour savoir

 

l'aimer.»

 

,IX

 

J

 

E crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration

 

d'oiseaux sauvages. Au matin du départ il mit sa

 

planète bien en ordre. Il ramona soigneusement ses volcans en activité. Il possédait deux volcans en activité.

 

Et c'était bien commode pour faire chauffer le petit

 

déjeuner du matin. Il possédait aussi un volcan éteint.

 

Mais, comme il disait: «On ne sait jamais!» II ramona

 

donc également le volcan éteint. S'ils sont bien ramonés,

 

les volcans brûlent doucement et régulièrement, sans

 

éruptions. Les éruptions volcaniques sont comme des

 

feux de cheminée. Évidemment sur notre terre nous

 

sommes beaucoup trop petits pour ramoner nos volcans.

 

C'es~t pourquoi ils nous causent des tas d'ennuis.

 

Le petit prince arracha aussi, avec un peu de mélancolie, les dernières pousses de baobabs. Il croyait ne

 

jamais devoir revenir. Mais tous ces travaux familiers lui

 

parurent, ce matin-là, extrêmement doux. Et, quand il

 

arrosa une dernière fois la fleur, et se prépara à la

 

mettre à l'abri sous son globe, il se découvrit l'envie de

 

pleurer.

 

— Adieu, dit-il à la fleur.

 

Mais elle ne lui répondit pas.

 

— Adieu, répéta-t-il.

 

La fleur toussa. Mais ce n'était pas à cause de son

 

rhume.

 

— J'ai été sotte, lui dit-elle enfin. Je te demande

 

pardon. Tâche d'être heureux.

 

Il fut surpris par l'absence de reproches. Il restait là

 

 

II ramona soigneusement ses volcans en activité.tout déconcerté, le globe en l'air. Il ne comprenait pas

 

cette douceur calme.

 

— Mais oui, je t'aime, lui dit la fleur. Tu n'en as rien

 

su, par ma faute. Cela n'a aucune importance. Mais tu as

 

été aussi sot que moi. Tâche d'être heureux... Laisse ce

 

globe tranquille. Je n'en veux plus.

 

— Mais le vent...

 

— Je ne suis pas si enrhumée que ça... L'air frais de

 

la nuit me fera du bien. Je suis une fleur.

 

— Mais les bêtes...

 

— Il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles

 

si je veux connaître les papillons. Il paraît que c'est

 

tellement beau. Sinon qui me rendra visite? Tu seras

 

loin, toi. Quant aux grosses bêtes, je ne crains rien. J'ai

 

mes griffes.

 

Et elle montrait naïvement ses quatre épines. Puis elle

 

ajouta:

 

— Ne traîne pas comme ça, c'est agaçant. Tu as

 

décidé de partir. Va-t'en.

 

Car elle ne voulait pas qu'il la vît pleurer. C'était une

 

fleur tellement orgueilleuse...

 

X

 

L se trouvait dans la région des astéroïdes 325, 326,

 

327, 328, 329 et 330. Il commença donc par les visiter

 

pour y chercher une occupation et pour s'instruire.

 

Le premier était habité par un roi. Le roi siégeait,

 

habillé de pourpre et d'hermine, sur un trône très simple

 

et cependant majestueux.

 

— Ah! voilà un sujet, s'écria le roi quand il aperçut

 

le petit prince.

 

Et le petit prince se demanda:

 

«Comment peut-il me reconnaître puisqu'il ne m'a

 

encore jamais vu?»

 

Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est très

 

simplifié. Tous les hommes sont des sujets.

 

— Approche-toi que je te voie mieux, lui dit le roi qui

 

était tout fier d'être enfin roi pour quelqu'un.

 

Le petit prince chercha des yeux où s'asseoir, mais la

 

planète était tout encombrée par le magnifique manteau

 

d'hermine. Il resta donc debout, et, comme il était

 

fatigué, il bâilla.

 

— Il est contraire à l'étiquette de bâiller en présence

 

d'un roi, lui dit le monarque. Je te l'interdis.

 

— Je ne peux pas m'en empêcher, répondit le petit

 

prince tout confus. J'ai fait un long voyage et je n'ai

 

pas dormi...

 

— Alors, lui dit le roi, je t'ordonne de bâiller. Je n'ai

 

vu personne bâiller depuis des années. Les bâillements

 

sont pour moi des curiosités. Allons! bâille encore. C'est

 

un ordre.

 

— Ça m'intimide... je ne peux plus... fit le petit

 

prince tout rougissant.

 

— Hum! hum! répondit le roi. Alors je... je t'ordonne tantôt de bâiller et tantôt de...

 

Il bredouillait un peu et paraissait vexé.

 

Car le roi tenait essentiellement à ce que son autorité

 

fût respectée. Il ne tolérait pas la désobéissance. C'était

 

un monarque absolu. Mais, comme il était très bon, il

 

donnait des ordres raisonnables.

 

«Si j'ordonnais, disait-il couramment, si j'ordonnais

 

36 37

 

Ià un général de se changer en oiseau de mer, et si le

 

général n'obéissait pas, ce ne serait pas la faute du

 

général. Ce serait ma faute.»

 

— Puis-je m'asseoir? s'enquit timidement le petit

 

prince.

 

— Je t'ordonne de t'asseoir, lui répondit le roi, qui

 

ramena majestueusement un pan de son manteau d'hermine.

 

Mais le petit prince s'étonnait. La planète était

 

minuscule. Sur quoi le roi pouvait-il bien régner?

 

— Sire..., lui dit-il, je vous demande pardon de vous

 

interroger...

 

— Je t'ordonne de m'interroger, se hâta de dire

 

le roi.

 

— Sire... sur quoi régnez-vous?

 

— Sur tout, répondit le roi, avec une grande simplicité.

 

— Sur tout?

 

Le roi d'un geste discret désigna sa planète, les autres

 

planètes et les étoiles.

 

— Sur tout ça? dit le petit prince.

 

— Sur tout ça... répondit le roi.

 

Car non seulement c'était un monarque absolu mais

 

c'était un monarque universel.

 

— Et les étoiles vous obéissent?

 

— Bien sûr, lui dit le roi. Elles obéissent aussitôt. Je

 

ne tolère pas l'indiscipline.

 

Un tel pouvoir émerveilla le petit prince. S'il l'avait

 

détenu lui-même, il aurait pu assister, non pas à quarantequatre, mais à soixante-douze, ou même à cent, ou

 

même à deux cents couchers de soleil dans la même

 

journée, sans avoir jamais à tirer sa chaise! Et comme il

 

se sentait un peu triste à cause

 

du souvenir de sa petite planète

 

abandonnée, il s'enhardit à solliciter une grâce du roi:

 

— Je voudrais voir un coucher de soleil... Faites-moi plaisir... Ordonnez au soleil de se coucher...

 

— Si j'ordonnais à un général de voler d'une fleur à

 

l'autre à la façon d'un papillon, ou d'écrire une tragédie,

 

38 39ou de se changer en oiseau de mer, et si le général n'exé-

 

cutait pas l'ordre reçu, qui, de lui ou de moi, serait dans

 

son tort?

 

— Ce serait vous, dit fermement le petit prince.

 

— Exactt. Il faut exiger de chacun ce que chacun peut

 

donner, reprit le roi. L'autorité repose d'abord sur la

 

raison. Si tu ordonnes à ton peuple d'aller se jeter à la

 

mer, il fera la révolution. J'ai le droit d'exiger l'obéissance

 

parce que mes ordres sont raisonnables.

 

— Alors mon coucher de soleil? rappela le petit

 

prince qui jamais n'oubliait une question une fois qu'il

 

l'avait posée.

 

— Ton coucher de soleil tu l'auras. Je l'exigerai.

 

Mais j'attendrai, dans ma science du gouvernement, que

 

les conditions soient favorables.

 

— Quand ça sera-t-il? s'informa le petit prince.

 

— Hem! hem! lui répondit le roi, qui consulta

 

d'abord un gros calendrier, hem! hem! ce sera, vers...

 

vers... ce sera ce soir vers sept heures quarante! Et tu

 

verras comme je suis bien obéi.

 

Le petit prince bâilla. Il regrettait son coucher de

 

soleil manqué. Et puis il s'ennuyait déjà un peu:

 

— Je n'ai plus rien à faire ici, dit-il au roi. Je vais

 

repartir!

 

— Ne pars pas, répondit le roi qui était si fier d'avoir

 

un sujet. Ne pars pas, je te fais ministre!

 

— Ministre de quoi?

 

— De... de la justice!

 

— Mais il n'y a personne à juger!

 

— On ne sait pas, lui dit le roi. Je n'ai pas fait encore

 

le tour de mon royaume. Je suis très vieux, je n'ai pas

 

de place pour un carrosse, et ça me fatigue de marcher.

 

 

— Oh! mais j'ai déjà vu, dit le petit prince qui se

 

pencha pour jeter encore un coup d'œil sur l'autre côté

 

de la planète. Il n'y a personne là-bas non plus...

 

— Tu te jugeras donc toi-même, lui répondit le roi.

 

C'est le plus difficile. Il est bien plus difficile de se juger

 

soi-même que de juger autrui. Si tu réussis à bien te

 

juger, c'est que tu es un véritable sage.

 

— Moi, dit le petit prince, je puis me juger moi-même

 

n'importe où. Je n'ai pas besoin d'habiter ici.

 

— Hem! hem! dit le roi, je crois bien que sur ma

 

planète il y a quelque part un vieux rat. Je l'entends la

 

nuit. Tu pourras juger ce vieux rat. Tu le condamneras

 

à mort de temps en temps. Ainsi sa vie dépendra de ta

 

justice. Mais tu le gracieras chaque fois pour l'économiser. Il n'y en a qu'un.

 

— Moi, répondit le petit prince, je n'aime pas

 

condamner à mort, et je crois bien que je m'en vais.

 

— Non, dit le roi.

 

Mais le petit prince, ayant achevé ses préparatifs, ne

 

voulut point peiner le vieux monarque:

 

— Si Votre Majesté désirait être obéie ponctuellement, elle pourrait me donner un ordre raisonnable.

 

Elle pourrait m'ordonner, par exemple, de partir avant

 

une minute. Il me semble que les conditions sont

 

favorables....

 

Le roi n'ayant rien répondu, le petit prince hésita

 

d'abord, puis, avec un soupir, prit le départ.

 

— Je te fais mon ambassadeur, se hâta alors de crier

 

le roi.

 

Il avait un grand air d'autorité.

 

«Les grandes personnes sont bien étranges», se dit

 

le petit prince, en lui-même, durant son voyage.

 

41XI

 

A seconde planète était habitée par un vaniteux:

 

— Ah! ah! Voilà la visite d'un admirateur!

 

s'écria de loin le vaniteux dès qu'il aperçut le petit prince.

 

Car, pour les vaniteux, les autres hommes

 

sont des admirateurs.

 

— Bonjour, dit le

 

petit prince. Vous avez

 

un drôle de chapeau.

 

— C'est pour saluer,

 

lui répondit le vaniteux. C'est pour saluer

 

quand on m'acclame.

 

Malheureusement il ne

 

passe jamais personne

 

par ici.

 

— Ah oui? dit le petit prince qui ne comprit pas.

 

— Frappe tes mains

 

l'une contre l'autre,

 

conseilla donc le vaniteux.

 

Le petit prince frappa

 

ses mains l'une contre

 

l'autre. Le vaniteux

 

salua modestement en

 

soulevant son chapeau.

 

 

L

 

— Ça c'est plus amusant que la visite au roi, se dit en

 

lui-même le petit prince. Et il recommença de frapper

 

ses mains l'une contre l'autre. Le vaniteux recommença

 

de saluer en soulevant son chapeau.

 

Après cinq minutes d'exercice le petit prince se fatigua

 

de la monotonie du jeu:

 

— Et pour que le chapeau tombe, demanda-t-il, que

 

faut-il faire?Mais le vaniteux ne l'entendit pas. Les vaniteux n'entendent jamais que les louanges.

 

— Est-ce que tu m'admires vraiment beaucoup?

 

demanda-t-il au petit prince.

 

— Qu'est-ce que signifie admirer?

 

— Admirer signifie reconnaître que je suis l'homme

 

le plus beau, le mieux habillé, le plus riche et le plus

 

intelligent de la planète.

 

— Mais tu es seul sur ta planète!

 

— Fais-moi ce plaisir. Admire-moi quand même!

 

— Je t'admire, dit le petit prince, en haussant un peu

 

les épaules, mais en quoi cela peut-il bien t'intéresser?

 

Et le petit prince s'en fut.

 

«Les grandes personnes sont décidément bien bizarres»,

 

se dit-il simplement en lui-même durant son voyage.

 

XII

 

A planète suivante était habitée par un buveur. Cette

 

visite fut très courte mais elle plongea le petit prince

 

dans une grande mélancolie:

 

— Que fais-tu là? dit-il au buveur, qu'il trouva

 

installé en silence devant une collection de bouteilles

 

vides et une collection de bouteilles pleines.

 

— Je bois, répondit le buveur, d'un air lugubre.

 

— Pourquoi bois-tu? lui demanda le petit prince.

 

— Pour oublier, répondit le buveur.

 

— Pour oublier quoi? s'enquit le petit prince qui

 

déjà le plaignait.

 

 

— Pour oublier que j'ai honte, avoua le buveur en

 

baissant la tête.

 

— Honte de quoi? s'informa le petit prince qui

 

désirait le secourir.

 

— Honte de boire! acheva le buveur qui s'enferma

 

définitivement dans le silence.

 

Et le petit prince s'en fut, perplexe.

 

«Les grandes personnes sont décidément très très

 

bizarres», se disait-il en lui-même durant le voyage.

 

XIII

 

A quatrième planète était celle du businessman. Cet

 

homme était si occupé qu'il ne leva même pas la

 

tête à l'arrivée du petit prince.

 

— Bonjour, lui dit celui-ci. Votre cigarette est

 

éteinte.

 

— Trois et deux font cinq. Cinq et sept douze. Douze

 

et trois quinze. Bonjour. Quinze et sept vingt-deux.

 

Vingt-deux et six vingt-huit. Pas le temps de la rallumer.

 

Vingt-six et cinq trente et un. Ouf! Ça fait donc cinq

 

cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent

 

trente et un.

 

— Cinq cents millions de quoi?

 

— Hein? Tu es toujours là? Cinq cent un millions

 

de... je ne sais plus... J'ai tellement de travail! Je suis

 

sérieux, moi, je ne m'amuse pas à des balivernes! Deux

 

et cinq sept...

 

 

L

 

L— Cinq cent un millions de quoi? répéta le petit

 

prince qui jamais de sa vie n'avait renoncé à une question,

 

une fois qu'il l'avait posée.

 

Le businessman leva la tête:

 

— Depuis cinquante-quatre ans que j'habite cette

 

planète-ci, je n'ai été dérangé que trois fois. La première

 

fois ç'a été, il y a vingt-deux ans, par un hanneton qui était

 

tombé Dieu sait d'où. Il répandait un bruit épouvantable,

 

et j'ai fait quatre erreurs dans une addition. La seconde

 

fois ç'a été, il y a onze ans, par une crise de rhumatisme.

 

Je manque d'exercice. Je n'ai pas le temps de flâner. Je

 

suis sérieux, moi. La troisième fois... la voici! Je disais

 

donc cinq cent un millions...

 

 

— Millions de quoi?

 

Le businessman comprit qu'il n'était point d'espoir de

 

paix:

 

— M




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Организация Борьба | Введение. У 1990—1991 роках Верховною Радою було затверджено Концепцію переходу України до ринкової економіки (грудень 1990)

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