L'ÊTRE ET LE NÉANT

Si la première partie des Mots s'interroge sur la justification de l'existence, dans la seconde partie, c'est la justification de l'écriture qui se trouve exposée. Dans l'un comme dans l'autre cas la lumière est mise sur l'ordre de la nécessité.

Là encore, il faut peut-être considérer l'influence du grand-père sur l'enfant, mais il s'agit alors d'une influence qui n'a pas été immédiatement ressentie: «Charles Schweitzer mettait de la nécessité partout pour couvrir une détresse qui ne m'apparut jamais tant qu'il vécut et que je commence seulement à deviner». Alors que dans cette perspective la nécessité devient le moyen de masquer la détresse, dans le cas de l'enfant, c'est le manque de nécessité et de justification qui le plonge dans l'anxiété;. Il lui faut donc justifier son existence et précisément l'absence de son père ne lui permet pas de se fonder en tant qu'être. Dans une société bourgeoise où l'avoir confère l'être, l'enfant se sent terriblement «abstrait»: «Au propriétaire, les biens de ce monde reflètent ce qu'il est; ils m'enseignaient ce que je n'étais pas: je n'étais pav consistant ni permanent; je n'étais pas le continuateur futur de l'œuvre paternelle, je n'étais pas nécessaire à la production de l'acier; en un mot je n'avais pas d'âme». Et plus loin encore: «j'étais rien: une transparence ineffaçable». Les soulignements d'insistance (combinés à la modalité négative et à la fonction attribut) renvoient ici à une surenchère dans l'ordre du néant. Se considérant comme un «bien culturel», l'enfant tente de se trouver une justification dans l'ordre culturel. Dans cette perspective, il se sent capable de retrouver cette justification immédiate qui s'exprime ironiquement par des images puisées dans le champ de la nature: «La culture m'imprègne et je la rends à la famille par rayonnement, comme les étangs, au soir, rendent la chaleur du jour».

À partir du moment où il accède à l'écriture, Jean-Paul excellera aussi à se trouver plusieurs types de justifications qui semblent s'effacer successivement les unes les autres: «plus que l'épopée, plus que le martyre, c'était la mort que je cherchais». Il a donc conçu d'abord la littérature comme un combat contre le mal, ce qui permet de se justifier en tant que héros. Puis il reçoit cette légitimation du Saint-Esprit: «Seigneur, puisque je suis si nul, comment pourrais-je faire un livre? - En t'appliquant. - N'importe qui peut donc écrire? - N'importe qui, mais c'est toi que j'ai choisi». Il est ici l 'élu, celui qui a un destin sur la terre qui diffère du destin céleste. Parmi les humains il se contente d'être, avec superbe, «Jean-Paul Sartre, l'écrivain masqué, le chantre d'Aurillac, le poète de la mer», qui s'éteindra dans sa «chambrette» en se disant «mission remplie».

Enfin, c'est sa vision de la mort qui s'impose comme justification dans le moment même où elle est perçue comme la condition de la gloire: «En l'identifiant à la gloire, j'en fis ma destination... Nos intentions profondes sont des projets et des fuites inséparablement liés: l'entreprise folle d'écrire pour me faire pardonner mon existence, je vois bien qu'elle avait, en dépit des vantardises et des mensonges, quelque vérité; la preuve en est que j'écris encore, cinquante ans après». L'existence se justifie par l'écriture tandis que l'écriture se justifie, à travers la mort, dans la gloire. Pour autant cette gloire ne passe pas, d'abord, par la recon­naissance de l'autre; elle ne passe pas par une relation intersubjective mais par une stérile objectivation dans la mesure où le moi de Jean-Paul se perçoit sous la forme désincarnée de l'objet-livre: «Moi: vingt-cinq tomes, dix-huit mille pages de texte, trois cents gravures dont le portrait de l'auteur». Jean-Paul en arrive alors à ce paradoxe où il n'est plus nulle part car il est partout.

Le narrateur adulte décèle bien tous ces «tours de passe-passe» dont il a été victime, et ce n'est qu'à l'avant-dernière page du texte, donc au bout d'un lent cheminement qui retrace de façon critique son besoin de se justifier, qu'il peut déclarer, retournant à une philosophie de la simplicité; qui refuse les alibis: «à présent je connais notre impuissance. N'importe: je fais, je ferai des livres; il en faut; cela sert tout de même. La culture ne sauve rien ni personne, elle ne justifie pas. Mais c'est un produit de l'homme: il s'y projette, s'y reconnaît; seul ce miroir critique lui offre son image».

2.Thème(s) qui caractérise(nt) l'oeuvre:

critique de la famille bourgeoise ___________________________________

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3.Ton: réaliste -- ironique):