Сборник Законов царя Хаммурапи // Источники права. Вып. 1 – Тольятти: ИИП «Акцент», 1996. – 56 с.
Affaire Zielinski et Pradal et Gonzalez et a.
c/ France
PROCEDURE
1. L'affaire Zielinski et Pradal c. France a été déférée à la Cour, telle qu'établie en vertu de l'ancien article 19 de la Convention, par la Commission européenne des Droits de l'Homme («la Commission») le 25 octobre 1997 et par le gouvernement français («le Gouvernement») le 11 décembre 1997. L'affaire Gonzalez et autres c. France a été déférée à la Cour, telle qu'établie en vertu de l'article 19 amendé, par la Commission le 9 décembre 1998. La Cour a été saisie dans le délai de trois mois qu'ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A l'origine de ces deux affaires se trouvent dix requêtes (n° 24846/94 et nos34165/96 à 34173/96, ces dernières ayant été jointes par la Commission le 9 avril 1997) dirigées contre la République française et dont onze ressortissants de cet Etat avaient saisi la Commission en vertu de l'ancien article 25. La première requête a été introduite par MM. Benoît Zielinski et Patrick Pradal le 5 juillet 1994, la deuxième par MmeJeanine Gonzalez le 19 août 1996, et les huit autres par MmesMartine Mary et Anita Delaquerrière, M. Guy Schreiber, MmeMonique Kern, M. Pascal Gontier, MmesNicole Schreiber et Josiane Memeteau et M. Claude Cossuta le 9 septembre 1996.
Les demandes de la Commission renvoient aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46), la requête du Gouvernement à l'ancien article 48. Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A (note 1)
1. Note du greffe: le règlement A s'est appliqué à toutes les affaires déférées à la Cour avant le 1eroctobre 1994 (entrée en vigueur du Protocole n° 9) puis, entre cette date et le 31 octobre 1998, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole.
, MM. Zielinski et Pradal ont exprimé le désir de participer à l'instance et désigné leur conseil (article 30).
3. En sa qualité de président de la chambre initialement constituée pour la première affaire (ancien article 43 de la Convention et article 21 du règlement A) pour connaître notamment des questions de procédure pouvant se poser avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 11, M. R. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, le conseil de MM. Zielinski et Pradal et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure écrite. Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires des requérants et du Gouvernement le 27 avril 1998.
4. A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1ernovembre 1998, et conformément à l'article 5 § 5 dudit Protocole, l'examen de l'affaire a été confié à la Grande Chambre de la Cour. Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M. J.-P. Costa, juge élu au titre de la France (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement), M. L. Wildhaber, président de la Cour, MmeE. Palm, vice-présidente de la Cour, ainsi que M. M. Fischbach, vice-président de section (articles 27 § 3 de la Convention et 24 §§ 3 et 5 a) du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre: M. L. Ferrari Bravo, M. Gaukur Jörundsson, M. L. Caflisch, M. W. Fuhrmann, M. K. Jungwiert, M. B. Zupančič, MmeN. Vajić, M. J. Hedigan, MmeW. Thomassen, MmeM. Tsatsa-Nikolovska, M. T. Pantîru, M. E. Levits et M. K. Traja (articles 24 § 3 et 100 § 4 du règlement).
Ultérieurement, M. Costa s'est déporté de la Grande Chambre (article 28 du règlement). Par conséquent, le Gouvernement a désigné M. A. Bacquet pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement). Par la suite, MmePalm et M. Gaukur Jörundsson, empêchés, ont été remplacés par M. J. Makarczyk et MmeS. Botoucharova, juges suppléants (article 24 § 5 b) du règlement).
5. Conformément aux dispositions de l'article 5 § 4 du Protocole n° 11, lu en combinaison avec les articles 100 § 1 et 24 § 6 du règlement, un collège de la Grande Chambre a décidé, le 14 janvier 1999, que l'affaire Gonzalez et autres serait examinée par la même Grande Chambre que celle déjà constituée pour l'affaire Zielinski et Pradal. Par la suite, la Grande Chambre a décidé, faisant droit à la demande du Gouvernement, de joindre les deux affaires (article 43 § 1 du règlement).
6. M. Wildhaber a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, le conseil des requérants et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure écrite. Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires des requérants le 23 mars 1999 et celui du Gouvernement le 25 mars 1999.
7. A l'invitation de la Cour (article 99 § 1 du règlement), la Commission a délégué l'un de ses membres, M. M. Nowicki, pour participer à la procédure devant la Grande Chambre.
8. Ainsi qu'en avait décidé le président, une audience s'est déroulée en public le 26 mai 1999, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. R. ABRAHAM, directeur des affaires juridiques, ministère des Affaires étrangères, agent,
P. BOUSSAROQUE, sous-direction des droits de l'homme, direction des affaires juridiques, ministère des Affaires étrangères,
MmeE. DUCOS, bureau des droits de l'homme, service des affaires européennes et internationales, ministère de la Justice, conseils;
- pour les requérants
MeH. MASSE-DESSEN, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conseil;
- pour la Commission
M. M. NOWICKI, délégué,
MmeM.-T. SCHOEPFER, secrétaire de la Commission.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Nowicki, MeMasse-Dessen et M. Abraham.
EN FAIT
9. Ressortissants français, MM. Zielinski et Pradal, MmesGonzalez, Mary et Delaquerrière, M. Schreiber, MmeKern, M. Gontier, MmesSchreiber et Memeteau et M. Cossuta sont respectivement nés en 1954, 1955, 1956, 1953, 1955, 1948, 1949, 1957, 1950, 1954 et 1957. Les requérants, qui résident dans les départements de la Meurthe-et-Moselle pour M. Zielinski, de la Moselle pour M. Pradal, du Bas-Rhin pour MmeMary et du Haut-Rhin pour tous les autres requérants, sont employés dans des organismes de sécurité sociale en Alsace-Moselle.
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPECE
A. La genèse de l'affaire
1. Les préliminaires
10. Le 28 mars 1953, les représentants des caisses de sécurité sociale de la région de Strasbourg ont signé un protocole d'accord avec les représentants régionaux des syndicats. Ce protocole mit en place, au profit du personnel des organismes de sécurité sociale, une «indemnité de difficultés particulières» (IDP) justifiée par la complexité de l'application de la législation du droit local des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. L'accord précisa que cette indemnité est égale à douze fois la valeur du point, fixée par la convention nationale du personnel des organismes sociaux.
Le ministre du Travail et de la Sécurité sociale donna son agrément par une lettre du 2 juin 1953. Ce protocole fut donc normalement appliqué.
11. A la suite de deux avenants des 10 juin 1963 et 17 avril 1974, relatifs au mode de calcul des salaires et à la classification des emplois et des répercussions de ces modifications sur la valeur du point, les conseils d'administration des organismes de sécurité sociale ont réduit l'IDP. Ainsi, l'IDP fut fixée à 6 points en 1963 puis à 3,95 points en 1974, au lieu des 12 points prévus dans l'accord de 1953. De plus, ils ne tinrent pas compte de l'IDP pour le calcul du treizième mois prévu par la convention collective.
12. En 1988, plusieurs organismes de sécurité sociale décidèrent toutefois d'intégrer l'IDP dans la base de calcul de l'indemnité annuelle, avec rappel de cinq ans. La direction régionale des affaires sanitaires et sociales, autorité de tutelle de ces organismes publics, annula les décisions permettant le transfert des crédits nécessaires pour ces versements aux agents.
2. Les recours exercés par certains agents - autres que les requérants - des organismes de sécurité sociale concernés
a) Les jugements des conseils de prud'hommes de Forbach, Sarrebourg et Sarreguemines
13. Cinq conseils de prud'hommes furent saisis par 136 agents des caisses concernées, afin d'obtenir l'application stricte du protocole d'accord signé en 1953 et l'octroi des rappels de salaires correspondants depuis le 1erdécembre 1983 (du fait de la prescription quinquennale en matière de salaires).
14. Par des jugements des 22 décembre 1989 et 26 avril 1990 (conseil de prud'hommes de Sarrebourg, section activités diverses), 20 décembre 1989 (conseil de prud'hommes de Sarrebourg, section encadrement), ainsi que des 10 avril et 12 juin 1990 (conseil de prud'hommes de Forbach, section encadrement), les agents furent déboutés de leur demande de rappel de l'IDP sur la base de douze fois la valeur du point.
15. Par des jugements des 23 avril et 14 mai 1990 (conseil de prud'hommes de Forbach, section activités diverses) et du 19 mars 1990 (conseil de prud'hommes de Sarreguemines, section encadrement), la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Sarreguemines fut condamnée à verser aux agents les montants réclamés au titre du rappel de l'IDP calculée sur la base de 12 points.
b) Les arrêts de la cour d'appel de Metz, du 26 février 1991
16. Par vingt-cinq arrêts du 26 février 1991, concernant 136 agents, la cour d'appel de Metz fit droit à leur demande. Les représentants de l'Etat - le préfet de région et, par délégation, le directeur régional des affaires sanitaires et sociales - formèrent un pourvoi en cassation.
c) Les décisions ministérielles relatives à l'agrément, des 30 juillet 1991 et 8 juillet 1992
17. Le 30 juillet 1991, le ministre des Affaires sociales retira l'agrément ministériel donné le 2 juin 1953. Le 8 juillet 1992, le ministre des Affaires sociales rapporta ce retrait d'agrément.
d) Les arrêts de la Cour de cassation, du 22 avril 1992
18. Par trois arrêts du 22 avril 1992, dans le cadre des recours intentés par 136 agents et ayant donné lieu aux vingt-cinq arrêts de la cour d'appel de Metz le 26 février 1991, la Cour de cassation cassa partiellement ces arrêts. Elle estima que le changement de classification intervenu en 1963 avait entraîné la disparition de l'indice de référence de l'accord de 1953. En conséquence, la Cour de cassation ordonna le renvoi des affaires devant les juges du fond pour rechercher si un usage avait été créé ou, à défaut d'usage, pour déterminer le taux qu'aurait atteint l'indice de référence s'il avait été maintenu.
19. La Cour de cassation désigna la cour d'appel de Besançon comme cour de renvoi.
e) Les arrêts de la cour d'appel de Colmar, du 23 septembre 1993
20. La cour d'appel de Colmar, également saisie de recours relatifs à l'IDP, rendit des arrêts le 23 septembre 1993, par lesquels elle estima, compte tenu des termes des arrêts de la Cour de cassation en date du 22 avril 1992, que l'indice de référence avait disparu et qu'un usage s'était créé pour le paiement de l'IDP à 3,95 fois la valeur du point depuis l'avenant du 17 avril 1974.
f) L'arrêt de la cour d'appel de Besançon, statuant sur renvoi après cassation, du 13 octobre 1993
21. Par un arrêt du 13 octobre 1993, la cour d'appel de Besançon, statuant sur renvoi de la Cour de cassation, jugea que le protocole d'accord du 28 mars 1953 était régulier, qu'il n'était pas caduc et qu'aucun usage n'avait été créé. En conséquence, elle indiqua que l'IDP serait calculée sur la base de 6,1055 % du salaire minimum, ce pourcentage correspondant au montant de l'IDP calculée sur 12 points au 1erjanvier 1953. La cour d'appel de Besançon jugea notamment que:
«Attendu que l'accord de 1953 n'ayant pas été dénoncé et l'IDP devant continuer à être versée, la seule discussion, après la cassation partielle des arrêts rendus par la cour d'appel de Metz, porte sur le nouveau mode de calcul de l'indemnité en 1963, qui peut être fondé soit sur un usage, soit, à défaut, sur la détermination du taux qu'aurait atteint l'indice de référence à la date de chaque échéance de la prime, si cet indice avait été maintenu;
(...) Attendu que la modification unilatérale en 1963 du mode de calcul de l'IDP ne peut avoir entraîné la création d'un usage qui de surcroît, aurait lui-même été modifié unilatéralement en 1974 au mépris des règles en la matière; (...)
Attendu qu'en cas de disparition d'indice de référence, il est nécessaire de créer un indice de raccordement, conforme à la volonté des parties contractantes;
Attendu que la méthode retenue par les Caisses en 1963 et 1974, consistant à considérer le montant de l'IDP comme fixe et à diviser ce montant par la nouvelle valeur du point pour obtenir le nombre de points nécessaire au calcul de l'IDP, fait abstraction de l'évolution générale des salaires et a consacré une érosion progressive de l'IDP, ainsi que le démontrent les demandeurs en versant aux débats des études sur l'évolution de l'IDP par rapport aux salaires de base;
Attendu que pour respecter l'intention commune des parties, la prime doit être uniforme pour les agents des trois départements, quelle que soit la qualification de l'agent, et que les avantages acquis par les salariés doivent être maintenus;
Attendu que la comparaison de l'IDP avec le salaire minimum est éloquente; (...); qu'ainsi, en janvier 1990, l'IDP calculée sur la base de 3,95 points, le point ayant une valeur de 38,6520 FRF s'élevait à 152,67 FRF, alors qu'en prenant pour base 6,1055 % du SMPG, alors fixé à 5 596 FRF, l'IDP aurait été de 341,66 FRF;
(...)»
22. La cour d'appel ordonna donc la réouverture des débats afin de permettre à chaque demandeur de chiffrer le montant du rappel de salaire auquel il pouvait prétendre.
g) La loi n° 94-43 du 18 janvier 1994
23. Dans le cadre des travaux parlementaires concernant une loi relative à la santé publique et à la protection sociale, loi discutée à partir du 26 octobre 1993 par le Parlement, le Gouvernement prit l'initiative de présenter un amendement. Les débats sur cet amendement, qui devint l'article 85 de la loi, eurent notamment lieu le 30 novembre 1993 à l'Assemblée nationale et le 13 décembre 1993 au Sénat. L'article 85 de la loi fut adopté.
24. Cet article 85 prévoyait que, sous réserve des décisions de justice devenues définitives, le montant de l'IDP instituée par le protocole d'accord du 28 mars 1953 au bénéfice des personnels des organismes de sécurité sociale du régime général et de leurs établissements des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, nonobstant toutes stipulations collectives et individuelles contraires en vigueur à la date de son entrée en application, serait fixé, à compter du 1erdécembre 1983, à 3,95 fois la valeur du point découlant des accords salariaux et versé douze fois par an.
25. Le Conseil constitutionnel fut saisi par des députés qui considéraient notamment que l'article 85 de la loi, en conduisant le législateur à intervenir dans une instance judiciaire en cours, serait contraire au principe de séparation des pouvoirs et que, en outre, l'article litigieux, relatif au droit du travail, était étranger à l'objet de la loi.
26. Par une décision du 13 janvier 1994, le Conseil constitutionnel estima que les dispositions législatives litigieuses n'étaient pas contraires à la Constitution, aux motifs suivants:
«Considérant que le législateur, en fixant avec effet rétroactif au 1erdécembre 1983, le montant de la prime de «difficultés particulières» à 3,95 fois la valeur du point découlant de l'application d'accords salariaux du 8 février 1957, a entendu mettre fin à des divergences de jurisprudence et éviter par là même le développement de contestations dont l'aboutissement aurait pu entraîner des conséquences financières préjudiciables à l'équilibre des régimes sociaux en cause;
Considérant qu'il a, d'une part, réservé expressément la situation des personnes à l'égard desquelles une décision de justice est devenue définitive; que, d'autre part, rien dans le texte de la loi ne permet d'inférer que le législateur a dérogé au principe de non-rétroactivité des textes à caractère répressif; qu'enfin il lui était loisible, sous réserve du respect des principes susvisés, d'user, comme lui seul pouvait le faire en l'espèce, de son pouvoir de prendre des dispositions rétroactives afin de régler pour des raisons d'intérêt général les situations nées des divergences de jurisprudence ci-dessus évoquées; que, dans ces conditions, les dispositions critiquées ne sont contraires à aucune règle, non plus qu'à aucun principe de valeur constitutionnelle. (...)»
27. En conséquence, l'article 85 de la loi n° 94-43 fut déclaré conforme à la Constitution. La loi fut promulguée le 18 janvier 1994.
h) Les arrêts de la Cour de cassation, des 15 février et 2 mars 1995
28. Le 15 février 1995, statuant sur le pourvoi formé par la CPAM de Sarreguemines, le préfet de la région Lorraine et le directeur régional des affaires sanitaires et sociales d'Alsace contre l'arrêt de la cour d'appel de Besançon du 13 octobre 1993, la Cour de cassation annula partiellement cet arrêt, sans renvoi, dans les termes suivants:
«(...) Attendu, cependant, que l'article 85 de la loi du 18 janvier 1994 fixe le montant de l'IDP, pour chaque période de versement, à 3,95 fois la valeur du point découlant de l'application des accords salariaux conclus conformément aux dispositions de la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957; que l'arrêt attaqué, en ce qu'il adopte un mode de calcul différent de celui prévu par le texte susvisé, doit être annulé;
Et attendu qu'il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 627, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile, de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée;
Par ces motifs (...)
Annule, mais uniquement dans ses dispositions décidant que l'IDP serait calculée sur la base de 6,1055 % du SMPG, l'arrêt rendu le 13 octobre 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon;
Dit n'y avoir lieu à renvoi;
Dit que le montant de l'IDP doit être fixé à chaque période de versement à 3,95 fois la valeur du point découlant de l'application des accords salariaux conclus conformément aux dispositions de la convention collective nationale de travail du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957;
(...)»
29. Par un arrêt du 2 mars 1995, la Cour de cassation rejeta également, en des termes similaires, les pourvois dirigés contre les arrêts rendus par la cour d'appel de Colmar le 23 septembre 1993.
B. Procédures relatives à MM. Zielinski et Pradal
1. Les jugements du conseil de prud'hommes de Metz, des 4 décembre 1991 et 21 octobre 1992
30. Par des demandes en date des 15 et 17 avril 1991, M. Zielinski et quarante-sept autres agents, représentés par un délégué CFDT (Confédération française démocratique du travail), saisirent à leur tour le conseil de prud'hommes pour obtenir le versement d'une somme de rappel de l'IDP (évaluée à 31 131,11 FRF pour le requérant) ainsi que le calcul de cette prime, pour l'avenir, sur la base des 12 points, tel que prévu par l'accord de 1953.
31. Devant le conseil de prud'hommes de Metz, le préfet de région et le directeur des affaires sanitaires et sociales contestèrent les arguments des agents et demandèrent le sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de cassation, saisie du pourvoi dans les affaires identiques ayant donné lieu aux vingt-cinq arrêts de la cour d'appel de Metz le 26 février 1991.
32. Les 28 juin et 12 juillet 1991, M. Pradal et quarante-huit autres agents, représentés par le délégué syndical CFDT, saisirent à leur tour le conseil de prud'hommes de Metz de la même demande.
33. Par des jugements du 4 décembre 1991 (pour M. Zielinski) et du 21 octobre 1992 (pour M. Pradal), le conseil de prud'hommes de Metz accorda le rappel d'indemnité aux demandeurs et constata que l'IDP devait être calculée sur la base de 12 points mensuels, conformément à l'accord de 1953, en jugeant notamment que:
«Constatant que l'accord précise que cette indemnité est égale à douze fois la valeur du point, fixé par la convention nationale du personnel des organismes sociaux;
Constatant qu'à la suite des modifications apportées à cette dernière par les avenants du 10 juin 1963 et du 17 avril 1974 quant au mode de calcul des salaires et à la classification des emplois et des répercussions de ces modifications sur la valeur du point, les conseils d'administration des organismes signataires du protocole ont décidé de maintenir par des réajustements une valeur constante à l'IDP;
Constatant qu'il est acquis que ces réajustements ont eu pour effet de ramener l'IDP à l'équivalent de six, puis de 3,95 points;
Constatant que les termes de l'accord de 1953 sont précis et que la base de 12 points ne pouvait être unilatéralement modifiée;
Constatant que les organismes sociaux auraient dû dénoncer le protocole d'accord s'ils estimaient que les aménagements intervenus en 1963 et 1974 entraînaient une charge excessive;
(...) qu'il ne peut en être tenu compte que si les parties l'ont prévu à l'avance et que le silence des autres signataires du protocole ne peut être considéré comme une approbation (article L. 143-4 du code du travail) (...)» (termes du jugement du 4 décembre 1991)
34. Le directeur des affaires sanitaires et sociales, par délégation du préfet de région, interjeta appel de ces jugements.
2. Les arrêts de la cour d'appel de Metz, des 19 et 20 avril 1993
35. Par des arrêts définitifs des 19 avril (M. Pradal) et 20 avril 1993 (M. Zielinski), la cour d'appel de Metz confirma les jugements, constatant que la prime avait été modifiée unilatéralement en méconnaissance de la loi de 1950 relative aux conventions collectives, et aux motifs, notamment, que:
«Attendu qu'en définitive, doit être retenue, pour le calcul de cette indemnité, la valeur du point résultant des avenants des 10 juin 1963 et 17 avril 1974 et de ceux en vigueur à chaque échéance de l'indemnité;
Attendu que selon l'article 1134 du code civil les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites; qu'elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise; que de même, suivant l'article 135-1 du code du travail, les conventions et accords collectifs de travail obligent tous ceux qui les ont signés;
(...)
Attendu que force est de constater que l'accord du 28 mars 1953 n'a été dénoncé par aucune des parties; que par suite il doit continuer à recevoir application et que les réductions du coefficient multiplicateur imposées à deux reprises l'ont été en violation tant de l'article 1134 du code civil que des règles applicables en matière d'accords collectifs de travail;
Attendu qu'en conséquence le versement de la prime doit être effectué sur la base de 12 points, tel que prévu audit accord;
(...)»
3. L'arrêt de la Cour de cassation, du 2 mars 1995
36. Le 2 mars 1995, la Cour de cassation, saisie du pourvoi formé par le préfet et le directeur des affaires sanitaires et sociales contre les arrêts de la cour d'appel de Metz des 19 et 20 avril 1993 (concernant MM. Zielinski et Pradal) et contre deux autres arrêts des 21 avril et 6 septembre 1993, le tout concernant 150 agents, rendit son arrêt dans les termes suivants:
«Sur l'application de l'article 85 de la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale:
(...)
Attendu, cependant, que l'article 85 de la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994, applicable aux instances en cours, y compris celles pendantes devant la Cour de cassation, a pour but de suppléer, en l'absence d'un accord des parties, à la disparition d'un indice de référence et de permettre ainsi le calcul du montant d'une prime; que ce texte, de nature législative, dont les parties ont pu discuter de l'application, ne constitue pas une intervention de l'Etat dans une procédure l'opposant à des particuliers; qu'il ne remet pas en cause des décisions de justice irrévocables et a été déclaré conforme à la Constitution par le conseil constitutionnel; d'où il suit que ce texte n'est pas contraire aux dispositions des articles 6-1 et 13 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales;
Sur le moyen, relevé d'office, après avis donné aux parties:
Vu l'article 85 de la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale;
Attendu que pour décider que le montant de l'indemnité dite de difficultés particulières doit être calculé sur la base des 12 points prévus au protocole d'accord du 28 mars 1953 et que la valeur du point doit être celle retenue pour le calcul des salaires par les accords collectifs en vigueur, la cour d'appel énonce qu'aucune disposition contractuelle ne subordonne le maintien de l'indice choisi à celui de la classification en vigueur au moment de l'accord et que ce serait ajouter aux termes de l'accord, parfaitement clairs et précis, et le dénaturer que de décider le contraire, qu'elle ajoute que l'accord litigieux n'est exclut pas que soient prises en compte les modifications de la valeur du point résultant de la réorganisation indiciaire et que dès lors la valeur du point résultant des avenants des 10 juin 1963 et 17 avril 1974 doit être retenue pour le calcul de l'IDP; qu'elle retient, encore, que les nouveaux modes de calcul de l'IDP adoptés à la suite des changements de classification intervenus en 1963 et 1974, n'ont pas fait l'objet d'un accord de tous les signataires du protocole du 28 mars 1953 et que l'indice conventionnel demeurant applicable, il n'y a pas lieu de rechercher l'existence d'un usage, qu'elle relève enfin que l'accord du 28 mars 1953 constitue une convention collective qui ne peut être remise en cause que par voie de révision ou de dénonciation, ce qui n'a pas été le cas;
Attendu, cependant, que l'article 85 de la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 fixe le montant de l'indemnité dite de difficultés particulières, pour chaque période de versement, à 3,95 fois la valeur du point découlant de l'application des accords salariaux conclus conformément aux dispositions de la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957; que les arrêts attaqués en ce qu'ils adoptent un mode de calcul du montant de cette indemnité différent de celui prévu par le texte susvisé, doivent être annulés;
Et attendu qu'il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 627, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile, de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée;
Par ces motifs:
Annule, mais uniquement dans leurs dispositions décidant que le montant de l'indemnité dite de difficultés particulières doit être calculé sur la base de 12 points, la valeur du point étant celle retenue pour le calcul des salaires par les accords collectifs actuellement en vigueur, les arrêts rendus les 19, 20, 21 avril et 6 septembre 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Metz;
Dit n'y avoir lieu à renvoi;
Dit que le montant de l'IDP doit être fixé à chaque période de versement à 3,95 fois la valeur du point découlant de l'application des accords salariaux conclus conformément aux dispositions de la convention collective nationale de travail du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957;
(...)»
C. Procédures relatives à MmeGonzalez et autres
1. Les jugements du conseil de prud'hommes de Colmar, du 2 juillet 1991
37. Les 17 août (MmesGonzalez, Mary et Delaquerrière, M. Schreiber, MmeKern, M. Gontier, MmeSchreiber et M. Cossuta) et 28 août (MmeMemeteau) 1990, les requérants saisirent le conseil de prud'hommes sur le fondement de l'accord de 1953, en vue d'obtenir le versement d'une somme de rappel de l'IDP, ainsi que le calcul de cette prime sur la base de 12 points pour l'avenir. Aucun arrangement n'ayant pu intervenir à l'audience de conciliation du 18 décembre 1990, l'affaire fut renvoyée devant le bureau de jugement du 9 avril 1991.
38. Par neuf jugements en date du 2 juillet 1991, le conseil de prud'hommes de Colmar fit droit à leurs demandes, aux motifs que:
«(...) Attendu que le protocole d'accord signé le 28 mars 1953 (...) instaurant l'indemnité de difficultés particulières (IDP) de 12 points est toujours en vigueur et a acquis force de la loi;
Attendu que le 2 juin 1953, le ministère donna son agrément au protocole;
Attendu qu'à la suite de modifications de la classification des agents des organismes sociaux en 1963 et 1974, cette indemnité fut réduite sur décision du SICC (service d'intérêts communs et de coordination des caisses de sécurité sociale);
Attendu que ce service, organe consultatif, non signataire du protocole de 1953, prit cette décision unilatérale et la fit avaliser par la direction régionale de la sécurité sociale et des conseils d'administration des caisses;
Attendu de ce fait que ces modifications ne peuvent être opposées [aux demandeurs] d'autant plus que dans la lettre du 11 février 1989, le ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale dit que le protocole d'accord doit recevoir pleine application;
Attendu qu'outre les modifications de la valeur du point faites unilatéralement, l'accord de 1953 n'a fait l'objet d'aucune modification ultérieure par les parties signataires;
Attendu qu'il est précisé à l'article 63 de la Convention collective nationale - annexe 7 - que la «présente convention ne pourra en aucun cas être la cause d'une réduction des avantages acquis par les agents à la date de la signature»;
Attendu en conséquence que ce protocole d'accord reste applicable en sa totalité;
(...)»
2. Les arrêts de la cour d'appel de Colmar, du 18 mai 1995
39. La CPAM de Colmar et le préfet de la région Alsace, représenté par le directeur régional des affaires sanitaires et sociales d'Alsace, interjetèrent appel de ces jugements le 10 septembre 1991.
40. Le 12 juillet 1994, la cour d'appel de Colmar fixa les débats au 18 octobre 1994. Le 30 septembre 1994, après que les appelants eurent conclu en invoquant le bénéfice de la loi du 18 janvier 1994, les requérants déposèrent leur mémoire en défense.
41. Par neuf décisions du 18 mai 1995, la cour d'appel de Colmar débouta les requérants au motif que:
«(...) en application de [l'article 85 de la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994] l'infirmation du jugement déféré s'impose, étant précisé que la demande concerne une période postérieure au 1erdécembre 1983. (...)»
3. L'arrêt de la Cour de cassation, du 18 juin 1996
42. Les 13 et 17 juillet 1995, les requérants se pourvurent en cassation. Ils déposèrent leurs mémoires ampliatifs le 13 octobre 1995, puis un mémoire complémentaire le 10 février 1996. Les mémoires en défense furent déposés le 22 décembre 1995. Le conseiller rapporteur, désigné le 1erfévrier 1996, déposa son rapport le 16 février 1996.
43. Par un arrêt en date du 18 juin 1996, après audience du 6 mai 1996, la Cour de cassation déclara les pourvois des requérants irrecevables dans les termes suivants:
«(...) dans les matières où les parties sont dispensées du ministère d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, le pourvoi et les actes de la procédure qui en sont la suite, doivent être faits, remis ou adressés par la partie elle-même ou par tout mandataire muni d'un pouvoir spécial;
Attendu que les déclarations de pourvoi de chacun des parties ne contiennent pas l'énoncé, même sommaire, de moyens de cassation, et que les mémoires contenant cet énoncé et adressés dans le délai de trois mois exigé par l'article 983 du nouveau code de procédure civile ont tous été établis par un mandataire ne justifiant pas d'un pouvoir spécial;
Qu'il s'ensuit que les pourvois ne sont pas recevables. (...)»
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Principes généraux quant aux organismes de sécurité sociale
44. Les caisses nationales, régionales et primaires d'assurance maladie assurent une mission de service public (Conseil constitutionnel, décision n° 82-148 DC du 14 décembre 1982), ce qui explique tant l'attribution de prérogatives de puissance publique que l'existence d'une tutelle du ministre chargé de la sécurité sociale. Elles assurent la gestion du régime obligatoire, avec un budget propre, distinct de celui de l'Etat.
Le ministre chargé de la sécurité sociale en assure la tutelle, aidé en cela par ses services ministériels, à savoir une direction central et des directions régionales des affaires sanitaires et sociales, ainsi qu'une inspection générale des affaires sociales. En outre, le ministre est représenté par les préfets des départements ou des régions, en leur qualité de dépositaires de l'autorité de l'Etat et de délégués du Gouvernement, représentants directs du premier ministre et de chacun des ministres.
La tutelle s'exerce d'abord sur les personnes, avec possibilité, pour certains motifs, de dissoudre ou suspendre l'ensemble du conseil d'administration d'une caisse, de révoquer ou démissionner d'office certains administrateurs, de donner ou refuser l'agrément pour la nomination du personnel de direction, outre l'établissement de la liste d'aptitude pour ce dernier. La tutelle se retrouve ensuite sur les actes, avec le pouvoir des services régionaux du ministère d'annuler ou de suspendre, pour certains motifs, les décisions des conseils d'administration ou des directeurs des organismes sociaux de base, mais également avec la possibilité d'opposition aux actes des organismes nationaux. Certains actes particuliers des caisses sont également soumis à une procédure d'agrément: statuts et règlements intérieurs, conventions collectives fixant le statut des personnels et leur régime de retraite.
Enfin, les organismes de sécurité sociale sont placés sous la tutelle du ministre de l'Economie et des Finances, avec un contrôle des comptables publics du Trésor et de la Cour des comptes, ainsi que des vérifications de l'inspection générale des finances.
B. La loi n° 94-43 du 18 janvier 1994
45. Les dispositions pertinentes de ladite loi se lisent comme suit:
Article 85
«Sous réserve des décisions de justice devenues définitives, le montant de la prime dite de difficultés particulières, instituée par le protocole d'accord du 28 mars 1953 au bénéfice des personnels des organismes de sécurité sociale du régime général et de leurs établissements des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, nonobstant toutes stipulations collectives et individuelles contraires en vigueur à la date de publication de la présente loi, est fixé, à compter du 1erdécembre 1983 et à chaque période de versement, à 3,95 fois la valeur du point découlant de l'application des accords salariaux conclus conformément aux dispositions de la convention collective nationale de travail du personnel des organisations de sécurité sociale du 8 février 1957. Elle est versée douze fois par an. La gratification annuelle à compter de la même période est majorée, pour tenir compte du montant de l'indemnité dite de difficultés particulières attribuée au titre du mois de décembre.»
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
46. MM. Zielinski et Pradal ont saisi la Commission le 5 juillet 1994, MmeGonzalez le 19 août 1996 et MmesMary et Delaquerrière, M. Schreiber, MmeKern, M. Gontier, MmesSchreiber et Memeteau et M. Cossuta le 9 septembre 1996. Les requérants ont dénoncé une violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.
47. Le 26 novembre 1996, la Commission a retenu la requête de MM. Zielinski et Pradal (n° 24846/94). Le 22 octobre 1997, elle a déclaré les requêtes de MmeGonzalez et autres (nos34165/96 à 34173/96) recevable quant aux griefs relatifs à l'équité et la durée de la procédure et irrecevables pour le surplus. Dans ses rapports des 9 septembre 1997 et 21 octobre 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne l'équité de la procédure et qu'il n'y a pas lieu d'examiner l'affaire sous l'angle de l'article 13, mais également, concernant MmesGonzalez, Mary et Delaquerrière, M. Schreiber, MmeKern, M. Gontier, MmesSchreiber et Memeteau et M. Cossuta, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la durée de la procédure. Le texte intégral de ses avis figure en annexe au présent arrêt (note 1)
1. Note du greffe: pour des raisons d'ordre pratique, il n'y figurera que dans l'édition imprimée (le recueil officiel contenant un choix d'arrêts et de décisions de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
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CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
48. Dans ses mémoires, le Gouvernement invite la Cour à dire que l'application des dispositions de la loi nouvelle, dans le cadre des procédures judiciaires, alors en cours et relatives aux requérants, n'a pas emporté violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.
49. De leur côté, les requérants prient la Cour de constater qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de leur allouer une satisfaction équitable au titre de l'article 41.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT A L'ÉQUITÉ DE LA PROCEDURE
50. Les requérants estiment que l'adoption de l'article 85 de la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 a entraîné une violation de l'article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente en l'espèce est libellée comme suit:
«Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)»
51. Les requérants rappellent que la cour d'appel de Besançon, statuant sur renvoi après cassation dans des affaires antérieures et similaires, avait procédé à la recherche préconisée par la Cour de cassation et, par la suite, fixé le taux de référence en jugeant que l'IDP devait être calculée sur la base de 6,1055 % du salaire minimum et rouvert les débats pour effectuer les calculs (paragraphes 21-22 ci-dessus). Avant ce arrêt, MM. Zielinski et Pradal avaient obtenu une décision encore plus favorable, puisque la cour d'appel de Metz avait estimé que le calcul de l'IDP devait s'effectuer sur la base de 12 points (paragraphe 33 ci-dessus). Aussi, des décisions favorables aux requérants étaient-elles déjà intervenues avant l'adoption de la loi litigieuse, dans le cadre d'une procédure à laquelle l'Etat aurait été partie. Les requérants estiment que cette loi, résultat d'un amendement tardif, avait, sinon pour objet, du moins pour effet de modifier la solution du litige dans l'intérêt de l'Etat.
Les requérants contestent l'explication selon laquelle la loi aurait eu pour objet d'éviter des divergences de jurisprudence. D'une part, ils indiquent qu'en droit français les circonstances de fait d'une affaire relèvent de la compétence des juges du fond, la Cour de cassation ne contrôlant que le droit. Ainsi, il serait inhérent au système juridictionnel que des appréciations divergentes en «fait» puissent se produire lorsqu'un même litige est soumis à diverses juridictions. Ces divergences ne justifient pas, en soi, l'intervention du législateur. D'autre part, ce risque n'aurait pas existé en l'espèce: s'agissant d'une indemnité propre à des agents en fonction dans des départements précis, seules les cours d'appel de Colmar et de Metz étaient naturellement compétentes pour statuer et la Cour de cassation avait pris soin, après ses arrêts de cassation du 22 avril 1992, de renvoyer les affaires devant une seule et même cour d'appel de renvoi, celle de Besançon (paragraphe 19 ci-dessus).
Quant à la nécessité pour le législateur de sauvegarder l'équilibre des régimes de sécurité sociale, les requérants indiquent que le litige ne concernait que les agents de trois départements, pour un montant très faible au regard du budget de la sécurité sociale.
Les requérants estiment qu'il ne peut être utilement fait référence à l'affaire National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni (arrêt du 23 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII - «arrêt Building Societies»). Selon eux, il ne s'agit pas, en l'espèce, de tirer profit d'une erreur contraire à la volonté du législateur mais de faire rechercher la volonté des partenaires sociaux lorsqu'ils avaient conclu la convention collective à l'origine des droits en cause. La loi aurait donc clairement pour effet et pour objet d'empêcher l'application de la volonté des partenaires sociaux au seul bénéfice de l'Etat. Les requérants font, sur ce point, référence à l'arrêt Papageorgiou c. Grèce (arrêt du 22 octobre 1997, Recueil 1997-VI). Le seul risque pour l'Etat, qui aurait été avéré, était de ne pas obtenir de la justice la consécration de sa thèse. L'intervention législative, avec effet rétroactif, n'aurait donc eu d'autre objet que d'assurer le succès des prétentions de l'Etat alors que les décisions de justice ne lui étaient pas favorables. La Cour de cassation, mais aussi la cour d'appel de Colmar pour ce qui est des recours de MmesGonzalez, Mary et Delaquerrière, M. Schreiber, MmeKern, M. Gontier, MmesSchreiber et Memeteau et M. Cossuta, n'ont ensuite eu qu'à entériner les termes de la loi.
52. Le Gouvernement indique tout d'abord que, s'agissant de dispositions législatives rétroactives, il convient de préciser que deux niveaux de contrôle permettent de veiller au respect du principe de sécurité juridique qui doit entourer le procès. Le premier contrôle est opéré par le Conseil constitutionnel, lorsque ces dispositions sont soumises à son examen. Si ce dernier se refuse à apprécier la conformité d'une loi à la Convention européenne des Droits de l'Homme, la comparaison du droit issu de la Convention avec ses décisions relatives aux droits fondamentaux révèle que, sur de nombreux points, l'évolution de sa jurisprudence tient dûment compte de celle de la jurisprudence européenne. Il veille tout particulièrement à encadrer très strictement le recours aux lois de validation, en posant trois conditions à la constitutionnalité de telles lois: la validation ne peut être que préventive; la mesure de validation ne peut méconnaître le principe de non-rétroactivité de la loi pénale; le législateur ne peut intervenir que pour des motifs d'intérêt général. Le second contrôle est exercé par les tribunaux lors de l'application des lois nouvelles aux litiges en cours. Les lois de validation interviennent surtout dans le domaine du droit administratif, ce qui explique la rareté des décisions de la Cour de cassation à ce sujet. Mais les décisions du juge judiciaire sont très nombreuses s'agissant de lois rétroactives ou encore interprétatives. Le juge judiciaire pose une limite à l'application en cours d'instance de telles lois: elles ne sont pas applicables pour la première fois devant la Cour de cassation et ne peuvent justifier la censure d'une décision passée en force de chose jugée.
53. Le Gouvernement considère que les requérants ne sauraient reprocher au législateur l'adoption du texte litigieux; d'une part, l'article 34 de la Convention n'institue pas une actio popularis en faveur des requérants et, d'autre part, l'adoption de l'article 85 de la loi du 18 janvier 1994 est, en tant que telle, étrangère à la question de l'égalité des armes. Le problème résiderait donc uniquement dans son application aux faits de l'espèce.
Le Gouvernement estime que l'adoption des dispositions litigieuses répondait à un motif d'intérêt général, à un «but légitime». Il s'agissait, en premier lieu, de mettre fin à des divergences de jurisprudence. Les trois arrêts de cassation rendus par la Cour suprême le 22 avril 1992 tiraient la conséquence logique du constat de disparition de l'indice servant de base à l'indemnité et portaient en germe le risque de divergences jurisprudentielles, puisque trois cours d'appel devaient se prononcer sur la question. Des divergences sont apparues entre les cours d'appel de Besançon, Colmar et Metz, aucune n'ayant retenu la même solution (paragraphes 16, 20, 21, 35 et 41 ci-dessus). Elles auraient pu se multiplier. En second lieu, le Gouvernement considère qu'il convenait d'éviter de mettre en péril l'équilibre financier des régimes sociaux en cause, ce qu'a expressément relevé le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, ces recours auraient fait peser un risque quant à la continuité du service public de la sécurité sociale. Une augmentation exponentielle des frais de personnel aurait entraîné une diminution corrélative du fonds destiné à servir des prestations aux assurés sociaux, d'autant que sur quelque 9 000 agents concernés par l'IDP, à peu près 5 000 avaient entamé des procédures juridictionnelles à la date d'intervention de la loi. En cas de succès généralisé des recours, le budget des organismes concernés se serait trouvé amputé d'à peu près trois cent cinquante millions de francs. La loi de 1994 aurait donc répondu à d'impérieux motifs d'intérêt général (arrêt Building Societies, précité).
54. Le Gouvernement est d'avis que la bonne foi des pouvoirs publics n'est pas en cause. La loi ne visait pas à diminuer autoritairement d'IDP, mais à garantir son pourcentage constant dans la rémunération des agents, reprenant ainsi la solution dégagée par la cour d'appel de Colmar dans ses arrêts du 23 septembre 1993 (paragraphe 20 ci-dessus). L'intention du législateur était de revenir purement est simplement au mode de calcul arrêté lors de l'accord salarial originel. En outre, à la différence de l'affaire Papageorgiou (arrêt précité), l'existence d'un lien entre les dispositions introduites par l'article 85 de la loi du 18 janvier 1994 et le reste de cette même loi est clairement établie et confirmée par la décision du Conseil constitutionnel. Le Gouvernement estime également que la présente espèce se distingue de l'affaire Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce (arrêt du 9 décembre 1994, série A n° 301-B).
Un «rapport raisonnable de proportionnalité» aurait existé entre le but visé et les moyens employés par le législateur. Tout d'abord, la Cour de cassation n'aurait pas pu uniformiser les solutions retenues par les différentes cours d'appel, n'étant juge que du «droit» et non du «fait». La jurisprudence de la Cour de cassation indiquant notamment que la recherche de l'intention des parties à l'origine d'un contrat ou d'un usage est une question de «fait», l'intervention du législateur se serait imposée afin de permettre une unicité de calcul de l'IDP. Ensuite, le présent litige aurait des liens avec l'affaire Building Societies (arrêt précité): une «faille d'ordre technique» aurait été tardivement exploitée par certains syndicats, après plusieurs années d'application régulière et sans contestations de la convention collective. Les requérants ne pouvaient donc ignorer que les pouvoirs publics ne laisseraient pas cette «faille d'ordre technique» mettre en péril le budget des régimes sociaux. Le Gouvernement estime en outre que l'Etat, qui occupait une situation particulière par rapport au litige, n'a pas recouru à la validation «intuitu personae» à l'instar de ce qui était reproché à l'Etat grec dans l'affaire Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis (arrêt précité). Les requérants ne sont pas des salariés de l'Etat, mais des salariés de droit privé des caisses locales de sécurité sociale, personnes morales de droit privé disposant d'une autonomie financière. Cela explique la compétence du juge judiciaire et non du juge administratif. L'Etat n'aurait été partie au procès que de manière très indirecte, en sa qualité de «tuteur» des caisses de sécurité sociale, dans un but d'intérêt général des régimes de sécurité sociale. Enfin, le Gouvernement estime que le champ d'application de la validation a été aussi restreint que possible. Contrairement à l'affaire Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis (arrêt précité), l'objet de la loi n'était pas de faire échec aux procédures en cours, le législateur ayant exclu de son champ d'application les décisions de justice définitives.
55. Quant à la portée de l'application d'une loi nouvelle à l'issue d'un litige, le Gouvernement estime que les présentes affaires se distinguent des circonstances relevées dans les arrêts Building Societies, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis et Papageorgiou (précités).
Concernant MM. Zielinski et Pradal, la cour d'appel de Metz leur avait donné gain de cause, mais sur le fondement d'une motivation en contradiction avec celle de la Cour de cassation, cette dernière ayant constaté la disparition de l'indice de référence (paragraphes 18 et 35 ci-dessus). L'issue du litige était donc beaucoup plus incertaine que dans les précédentes affaires examinées par la Cour européenne des Droits de l'Homme. Le Gouvernement rappelle que l'application rétroactive d'une loi nouvelle à un litige en cours est compatible avec les dispositions de la Convention pour autant que le litige n'ait pas encore donné lieu à une décision passée en force de chose jugée. En l'espèce, MM. Zielinski et Pradal bénéficiaient justement d'un arrêt de la cour d'appel de Metz, passé en force de chose jugée, lorsque la loi nouvelle fut appliquée au litige. La Cour de cassation a néanmoins estimé
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